Outillage numérique et formation : à quelles conditions réussir l’école numérique ?
À quelles conditions le développement de l’équipement numérique des écoles peut-il contribuer à l’évolution des compétences et à la réussite de tous les enfants et élèves ? Entre une multitude d’acteurs et des inégalités territoriales, l’enjeu est de taille.
Depuis le plan numérique pour l’école, en 2014, les politiques publiques, qu’elles soient nationales ou locales, ont fait de l’équipement des lieux éducatifs un des leviers majeurs en faveur du développement de l’éducation au et par le numérique.
Mais, malgré l’importance des engagements financiers et la volonté des acteurs politiques, éducatifs et techniques locaux de faire vivre ces dynamiques, leur effet est toujours contesté. Le dernier rapport de la Cour des comptes sur le sujet, en juillet 2019, s’intitulait même : « Le service public numérique pour l’éducation : un concept sans stratégie, un déploiement inachevé ».
Cela a mené à plusieurs réflexions sur le meilleur moyen de réussir la transition numérique éducative. Au printemps 2020, la crise sanitaire a accéléré les choses. Soudain, les opinions se sont alignées sur l’intérêt du numérique pour assurer la continuité pédagogique.
« On estime que la génération actuelle fera entre 12 et 14 métiers au cours de sa vie, dont beaucoup seront liés au numérique. Donc aujourd’hui, il y a un vrai enjeu sur la formation des élèves pour utiliser ces outils. Il faut que l’école bouge avec la société sur cette question. La question n’est plus “pourquoi le numérique à l’école”, mais comment ? Il ne faut pas rater la transition numérique de la société », explique Jean François Cerisier, professeur à l’Université de Poitiers et directeur du laboratoire Techné.
Le déploiement du numérique à l’école fait souvent l’objet de critiques, qu’il soit question du déploiement des outils, de l’organisation des responsabilités, ou encore de leur pilotage.
Audran le Baron, directeur de la Direction du Numérique pour l’Education (DNE), explique que ses services ont défini un kit de base pour que tous les établissements soient équipés de la même façon. Lors des études, près d’un tiers des écoles primaires ont déclaré ne pas posséder ce socle numérique de base. De ce constat est né le plan SNEE.
Selon Audran le Baron, ce ne sont pas moins de 60.000 classes qui seront équipées début 2022. Le ministère a aussi lancé le même type de réflexion sur les collèges et les lycées et atteint bientôt des résultats pour dresser un bilan de la situation.
Pour Rozzen Merrien, présidente de l’ANDEV (Association nationale des directeurs éducation des villes) : « Le partenariat État/collectivités est clairement défini, mais les collectivités souhaitent voir une dynamique plus partagée et des investissements plus efficients par rapport aux budgets des collectivités. Souvent, il y a eu une politique d’équipement massif, mais nous avons constaté qu’il n’était pas utilisé. Il faut articuler cela avec des formations, et une transformation des usages. »
« La question du pilotage se pose une fois que les investissements sont engagés, car il faut que ces derniers soient ancrés localement », poursuit-elle. « Il y a donc tout un travail avec la DNE, les inspecteurs de l’Éducation nationale, les enseignants, etc. ».
Ces différents acteurs de l’écosystème du numérique éducatif peuvent avoir des objectifs qui leur sont propres, mais selon Anne-Charlotte Monneret, déléguée générale d’EdTech France : « La finalité doit guider les actions ». Ce but, quel est-il ? « Je ne pense pas que l’école numérique soit et puisse être un objectif. En revanche, repenser l’École en fonction des enjeux et opportunités liés au numérique est une urgence absolue » pour préparer au mieux les enfants d’aujourd’hui au monde de demain, selon Jean-François Cerisier.
État, collectivités, familles, entreprises ou encore chercheurs doivent travailler ensemble pour faire face aux iniquités territoriales au niveau des équipements et des formations.
Audran le Baron confirme qu’il faut encore « se battre pour que tout le monde ait un socle numérique de base. La classe du futur, on n’y est pas encore, parce qu’il y a un manque de moyens ». L’une des solutions serait notamment de pousser des partenariats public/privé pour mettre à disposition plus de ressources numériques et élaborer de nouvelles solutions.
De nombreux retours d’enseignants soulignent qu’il y a bien une conscience de l’importance d’une formation aux outils et aux pratiques du numérique, tout en constatant le manque d’action concrète sur ce volet.
Or, à cette échelle, la formation classique des enseignants n’est pas possible, car elle représenterait un budget faramineux : près de 1000 € par enseignant pour une semaine de formation, à multiplier par près d’1M d’enseignants, soit pas loin d’1Md € par an, selon la DNE.
Aussi, de nouvelles mesures doivent être prises, comme accorder des créneaux pour de la co-formation entre collègues, une demande par ailleurs largement remontée par les enseignants. « La formation initiale des enseignants doit donc être reconsidérée, car la formation au numérique est assez faible. C’est assez politiquement incorrect de le dire, mais il faudrait repenser ce système », ose Jean-François Cerisier.
Canopé a ainsi été recentré sur la question de la formation, avec un réseau de proximité et des ressources plus importantes. Il y a aussi un rétablissement progressif de la certification numérique des enseignants lors de l’entrée dans le métier et en cours de carrière.